Le Radeau des Cimes


Deux extraits communiqués par Dany Clayet-Marrel

Moments privilégiés

Il est 5 heures du matin, je viens juste de me réveiller quand ma montre sonne; je descends de mon hamac, enfile mes habits humides, la tête encore lourde des petits punchs de la veille et sors pour observer les conditions météorologiques. Seules les gouttes de rosée qui tombent de la canopée troublent le calme de cette nuit tropicale. L'air est incroyablement humide, d'où une grande impression de fraîcheur malgré les 23deg habituels. Les étoiles apparaissent de temps en temps entre les passages de brouillard. Francis me rejoint le premier, bientôt suivit par les personnes désignées la veille pour préparer le dirigeable et tout le monde se retrouve sur la bâche d'envol.

Après un gonflement réalisé avec une équipe rodée et un décollage en douceur, toujours émouvant, le dirigeable sort de son trou et arrive à la hauteur des arbres. Je découvre soudain un autre monde, un océan de verdure ou les bancs de brume en se déchirant renforcent son coté féerique et mystérieux.

Alors je prends conscience de l'immense privilège que j'ai de pouvoir, comme chaque matin, glisser à quelques mètres au dessus de la canopée, me faufilant entre les arbres émergents tel un poisson entre les massifs de coraux, surprenant au hasard du vol, une bande de singe sautant de branches en branches pour fuir cet énorme monstre coloré au souffle de baleine, un paresseux accroché aux branches les plus hautes, des oiseaux attendant le dernier moment pour s'envoler ou l'odeur enivrante d'un arbre ou d'une liane en fleurs.

Quelques coups de brûleurs prolongés suffisent pour se retrouver au dessus de la brume et découvrir un ciel écarlate et la forêt à perte de vue.

Ces moments de bonheur sont partagés avec les copilotes Jean ou François et les scientifiques pour qui le vol le plus banal prend une importance fantastique. Ils voient la forêt du dessus, leur émotion est facilement compréhensible, ils ont enfin la révélation d’un univers structuré dans lequel toute chose prend soudain sa place. Ils découvrent un véritable jardin aux formes et couleurs variées. Toutes les couronnes d’arbres, qui peuvent passer en quelques jours du vert le plus tendre au rouge le plus vif, s’emboîtent comme dans un puzzle géant. On est loin du désordre apparent de la vision du sous bois. L’organisation de cet univers végétal apparaît par un simple changement d’angle de vue; c'est l’apport d’une troisième dimension qui lui donne tout son sens.

Quel autre engin volant pourrait permettre ce bain quotidien de canopée, ces contacts charnels répétés, ces moments intenses et palpitants pour déposer, arracher le radeau ou encore prélever des échantillons botaniques. L’adéquation entre le dirigeable à air chaud et la forêt tropicale est totale.

Ces moments privilégiés sont très importants car ils nous motivent, entre les missions, pendant les périodes difficiles. Pour une heure de vol en dirigeable, combien d'heures passées à faire des dossiers, pour trouver des financements, obtenir des autorisations, combien de réunions et d'espoirs déçus avant qu'une mission se concrétise.

 

De la montgolfière au dirigeable

Si au cours de la mission de 1986, la montgolfière avait démontré qu'il était possible de se poser sur les arbres, nous avions vite réalisé en revanche que cet aérostat n'était pas adapté à nos besoins; c'est qu'en effet il ne se dirige pas et la dépose du radeau nécessite par ailleurs une grande précision.

La solution était évidente, il nous fallait un dirigeable.

Le dirigeable à gaz, beaucoup trop cher et peu précis en altitude, fut tout de suite éliminé; en outre le chargement et le déchargement du radeau nous aurait obligé à lester ou délester l'équivalent des 800 kg du radeau en eau.

Restait le dirigeable à air chaud, mais l'air chaud étant peu porteur et les températures matinales en zone tropicale humide avoisinant les 20deg , il nous fallait construire un dirigeable beaucoup plus gros que tout ce qui avait été construit auparavant.

Seuls les anglais avaient déjà construit des petits dirigeables à air chaud mais jamais d'un tel volume. N'ayant aucune expérience, je fus obligé de me fier à eux pour la conception et la mise au point de l'engin. C'est dans ces conditions que je confiais la fabrication d'un dirigeable de 7500 m3 à Thunder and Colt à Oswestry.

Six mois plus tard, ce fut le pilote d'usine qui fit le premier vol. Après un gonflement folklorique le dirigeable décolla pour faire un petit tour de terrain; à peine pressurisé, sans forme, il ressemblait plus à une vielle chaussette qu'à un de ces dirigeables mythiques auxquels j'avais souvent rêvé. Le pilote essaya d'amorcer un virage, les gouvernes restèrent sans effet et le dirigeable s'éloigna du terrain sans réussir à tourner. Une énorme ligne électrique barrait l'horizon augmentant le tragique de la situation.

Resté au sol pour mieux observer le dirigeable, j'étais très inquiet et je pensais m'être embarqué dans une galère sans nom. Heureusement, grâce à un vent nul au raz du sol, le pilote réussi à rentrer au terrain. Plus satisfaisant pour le moral, un deuxième vol en captif nous montra que le dirigeable pouvait soulever le radeau sans problème.

Suite à ce vol mémorable, la météo étant devenue très mauvaise et les dates de la mission se rapprochant, je décidai de quitter Oswestry avec une lettre de décharge du constructeur, sans procéder à de nouveaux essais.

De retour en France, n'ayant aucune expérience du pilotage des dirigeables, c'est avec un ami, Michel Brédy, pilote d'un petit dirigeable de 1500 m3 de conception totalement différente et grâce à une météo plus clémente que nous avons réalisé plusieurs vols à l'aérodrome de Frontenas dans le beaujolais. Ces premières expériences m'ont conduit à réaliser de nombreuses modifications concernant l'équilibre et le tangage, la puissance du brûleur, la pressurisation des gouvernes et de l'enveloppe, l'électricité et les réglages du moteur, etc..

Vols après vols, modifications après modifications, les performances du dirigeable s'améliore jusqu'au jour où il fut enfin prêt à assurer sa mission en forêt tropicale.

En 1992-93 grâce à l'expérience acquise durant les nombreux vols des missions scientifiques précédentes, nous avons entrepris la construction d'une nouvelle enveloppe de 8500 m3, plus performante et parfaitement adaptée à nos besoins.

Toutefois une vigilance de tout instant reste nécessaire. Nous n'avons pas le droit à la moindre panne qui pourrait être fatale pour les hommes et le matériel, car installés au milieu d'une forêt dense, nous avons l'obligation absolue de revenir au point de départ. Ainsi, après chaque vol, et avec l'aide de Jean, mécanicien hors pairs, nous effectuons de nombreuses interventions pour que le vol du lendemain se fasse en toute quiétude.

C'est ainsi que nous sommes passés d'un aérostat extrêmement simple: la montgolfière, à un engin beaucoup plus complexe en maintenance, mise en œuvre et pilotage: le dirigeable à air chaud.

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L'Aérostation à la Française


Arnaud Deramecourt

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Dernière mise à jour le 31/08/2000